By Barbara

Se Gilleleje igen, og farvel til mormor

Un titre en danois, la blague ! Moi qui ne baragouine pas plus de dix mots dans cette langue.

Néanmoins, c'est la langue étrangère la plus émotionnelle à mon oreille, celle du souvenir de mon enfance.

Dix ans que je n'étais pas retournée au Danemark, à Gilleleje.
Quand j'ai réalisé cela, j'ai trouvé ça affolant, une décennie, tout de même, bon sang ! C'est à croire que je m'en passais bien. Apparemment, pendant tout ce temps, j'ai eu soif de nouveaux horizons. J'ai privilégié d'autres endroits à découvrir, comme une grande, avec la famille que je me suis constituée.

Mais, vous le savez sûrement, il arrive tout compte fait, ce moment où l'on décide de rembobiner le film de sa propre histoire, de vouloir revisiter l'ancien décor où, autrefois, nous étions en mesure de circuler les yeux fermés.
Ce retour à Gilleleje fut particulier, autant enthousiasmant qu'éprouvant, et pour cause, tout n'était pas resté figé.
C'est ici, à la gare de Gilleleje, que commence notre point de départ.
À peine arrivée, je m'interroge déjà sur cette sculpture d'acier de Børge Jørgensen, réalisée en 1993, dont je n'avais absolument aucun souvenir.
L'explication de cet oubli figure peut-être dans ce résumé de vacances d'été 1986, qu'en bonne élève d'école primaire, je m'étais appliquée à récapituler avec la candeur de mes neuf ans.
En substance, on retiendra : que l'avion n'eut aucun problème technique, que ma grand-mère Birgit, plus familièrement appelée Mamie, était là pour me chercher et m'accueillir ensuite chez elle, que la météo instable de cet été me permettait d'allier plaisirs aquatiques à ceux de la bidoche et de la petite reine, puis, de façon subtile, l'évocation d'une lecture pour ne pas déplaire d'emblée à la maîtresse, et d'une conclusion digne d'un avis Google : 4 étoiles sur 5.

Tout ça pour dire (pour en revenir à la sculpture) que, dans mon enfance, je ne passais jamais par la gare, puisque ladite Mamie tenait son guidon des deux mains sur les 80 km nécessaires depuis chez elle pour se rendre à l'aéroport.
Maintenant que les soixante minutes reliant Copenhague à Gilleleje sont effectuées, j'ai une semaine pour me reconnecter à tout ce que j'ai profondément tant apprécié ici depuis mes toutes premières années. Sans attendre, je me suis rendue vers le littoral, j'ai retrouvé le petit chemin, le même depuis toujours. En suivant le long du bord de mer, tout à coup, j'ai remarqué de jolis cailloux recouverts de peinture, semblables à ceux que nous réalisions en famille.

Troublant clin d'œil du passé qui passait par là…
Dans un premier temps, j'ai revu immédiatement de nombreuses choses restées intactes, des lieux fidèles à mes souvenirs.
"Les enfants sur une balançoire" sculptés par Keld Moseholm Jørgensen n'ont, bien évidemment, toujours pas pris la moindre petite ride, les veinards !
En 2024, d'autres mômes prennent à leur tour les deux-roues, aussi agiles que l'était ma sœur pour nous deux.
À une différence près, de nos jours, les chevelures ne virevoltent plus aussi librement au vent. Restent, dans les allées étroites, ces épis sauvages qui, de tout temps, nous chatouillent les chevilles et que je caressais de ma main d'enfant.
En cette semaine ensoleillée de juillet, où se déroulaient momentanément les Jeux olympiques 2024, il n'était pas rare d'apercevoir, çà et là, les célèbres anneaux colorés. Loin de l'effervescence parisienne, quel apaisement d'être ici, à laisser s'étirer le temps doucement tout en contemplant attentivement une plus large palette de couleurs.
Moi, la citadine, je redécouvrais l'existence même des papillons !!!! je vous le dis, il y en a eu des clics pour immortaliser toutes ces petites merveilles si précieuses au maillon de la chaîne de la nature.
Quel ravissement de retrouver le charme préservé des maisons anciennes, celles traditionnelles nichées au cœur de la ville ou tournées vers la mer. Flâner tranquillement, jusqu'à la tombée de la nuit par cette brise tiède de soir d'été.
Puis, est venu le premier changement flagrant de ce retour à Gilleleje, la découverte de tout un secteur ultramoderne installé là depuis 2016. Le "Kulturhavn Gilleleje" est un point de rassemblement culturel, où se déroulent des conférences, des expositions, des concerts, comprenant également une bibliothèque, un restaurant etc... un lieu de rencontre qui anime très certainement la ville plus que jamais. Je mentirais si je disais que cela ne m'a pas laissée un brin perplexe. J'ai d'ailleurs choisi de n'en garder qu'une seule image, prise en début de soirée, trouvant ainsi le lieu soudainement plus esthétique.
Située à l'extrémité nord de l'île, la ville de Gilleleje est réputée pour avoir le plus grand port de pêche commerciale de Seeland, jouant un rôle central dans l'économie locale. Il s'en dégage une atmosphère maritime authentique, bien qu'elle ait dû faire l'objet d'une grande restauration et renaître après le passage de la tempête Bodil en décembre 2013. Un poteau, orné de plaques nominatives, se dresse désormais, mentionnant toutes les personnes ayant contribué et soutenu la reconstruction du port.
​La tempête Bodil a violemment frappé les zones côtières, laissant derrière elle des dégâts matériels considérables. La structure même du port fut atteinte et de nombreux propriétaires ne retrouvèrent de leurs embarcations que des débris éparpillés. Au total, les ravages au port se sont élevés à environ 10 millions de couronnes danoises.
Très vite, des bénévoles ont pris les choses en main et lancé le nettoyage sans attendre. Les associations et clubs de la ville ont uni leurs forces pour créer « SOS Gilleleje Havn », une initiative dont le seul but était de récolter des fonds pour la reconstruction de la marina. 115 jours après la tempête, le port rouvrait ses bras aux visiteurs le 1er avril 2014 avec des ponts tout neufs, de nouvelles installations d'eau et d'électricité, une signalisation fraîchement posée ainsi qu'un nouveau bâtiment de toilettes. Bravo à tous ces citoyens pour cette formidable démonstration de solidarité.
Grâce à cette belle restauration, depuis, le port vit à nouveau, accueillant petits et grands. Tous profitent et flânent le long de la promenade animée, bordée de cafés et de restaurants où l'on peut déguster poisson frais et spécialités incontournables et typiquement danoises : smørrebrød, rød pølse et stegt flæsk. Et puis, impossible de résister à une softis qui n'est autre qu'un cornet gaufré garni de glace onctueuse parsemé ou non de vermicelles au chocolat (un rituel me concernant, depuis toute petite et barbouillée de crème comme l'atteste cette image de souvenir de vacances familiale).
Vous l'aurez compris, le port est un passage obligé et incontournable pour quiconque foule le sol de Gilleleje.
Vous apprécierez probablement autant que moi d'y déambuler entre les filets entrelacés, de lever les yeux vers les mâts soigneusement alignés, ou bien encore d'y croiser les pêcheurs du coin déchargeant de leurs mains rugueuses leurs prises du jour...
Maintenant, en poursuivant le sentier du littoral vers l’est, on atteint le phare historique de Nakkehoved. Erigé en 1772, il s'élève fièrement à 21 mètres, il compte parmi les plus hauts du Danemark. Ouvert au public, il abrite le musée de l'Histoire des Phares (Fyrhistorisk Museum, inauguré en 2005), qui retrace l'évolution des phares danois et internationaux.
Toujours en activité, émettant trois éclats de lumière blanche toutes les 20 secondes, visibles jusqu'à 46 km, c'est depuis cet emplacement que les visiteurs peuvent profiter d'une vue panoramique sur toute la beauté de la région.

Quant à moi, invariablement, appareil photo en bandoulière j'ai contemplé au loin et de plus près. L'occasion parfaite de croiser du beau monde, de capter des jeux d'ombres et de lumière etc ...
En dix ans, naturellement, certaines choses ont tout de même changé. Comme partout ailleurs, le renouveau s'installe, lentement mais sûrement. Ici aussi, on ne peut pas y échapper ! Un contraste assez saisissant par endroits, où le moderne se mélange à l'ancien.
Au final, entre les enseignes aux devantures métamorphosées et les nouvelles brasseries aux terrasses animées qui ont fleuri en ville, Gilleleje m'a donné l'impression d'être devenue assez « hype » et plus chic que jamais.
Suffisamment de transformations, étalées sur plusieurs décennies, pour m'éloigner chaque jour un peu plus de la vision que j'avais gardée de ma jeunesse en compagnie des miens. Quelle frustration, à Vesterbrogade, la rue principale des commerces, de ne plus pouvoir entrer dans la boutique « det gamle hus » dont l'odeur mêlée de savon et de cire de bougie flotte encore dans ma mémoire. Fini aussi le petit magasin de jouets, accessible par ses trois marches en face de la pharmacie, tout comme la banque de mamie, à l'angle, devenue une boutique de cosmétiques. Rayés de la carte également, Aldi, Spar et Irma, où nous faisions autrefois nos courses alimentaires…
Bref, je pourrais continuer longtemps cette énumération.
Envahie par cette soudaine nostalgie que j’avais mal anticipée, j’étais alors quelque peu soulagée de retrouver la maison au toit de tuiles, toujours si reluisante que, dans mon imagination d’enfant, je croyais que la pluie ne tombait que sur elle. Située à un angle de rue, elle était, lorsque j’étais haute comme trois pommes à l’arrière de la voiture, un repère et le signal que nous étions bientôt arrivés chez nous. Une fois ce tournant de rue effectué, il ne restait qu’une ligne droite, puis hop, la deuxième à gauche et… nous y étions !
Aucun doute possible, le panneau est bien celui que je connais.
Il y a dix ans, j'avais déjà mis en lumière Gilleleje mais aussi les membres danois de ma famille, j'avais pris la même photo pour cet article-là → 📝, à ceci près qu'elle était prise sous un angle légèrement plus bas et en couleur.
Entre-temps, une ombre s'est posée au 4A de la rue Kalvehavevej. À l'été 2019, je partageais à la toute fin de ce texte-ci 📝 mon spleen et son beau visage. Car Birgit, mamie, n'est plus là pour m'attendre à l'aéroport ni pour nous ouvrir la porte de chez elle. Au port, j'ai aperçu un bateau portant son prénom, alors je caresse l'illusion réconfortante qu'elle vogue désormais ailleurs.
Devant ce portail clos, ce décor si intime auquel je n’aurai plus jamais accès, c’est avec la gorge nouée derrière mes lunettes de larmes que j’ai revu défiler mes 4 ans, mes 10 ans, mes 15 ans, mes 30 ans et mes 37 ans…
Toutes ces vacances d’été où je gagnais sur place une bougie de plus et recevais du courrier d’anniversaire provenant de France dans la boîte aux lettres. Aujourd’hui, devenue une simple passante étrangère devant ce mur de bois transformé et surélevé, je n’ai pu apercevoir, entre deux lattes, que quelques bouts de briques rouge orangé.
C’était affreusement silencieux, là où autrefois trois chiens auraient accouru pour nous faire la fête, et Birgit serait en train de tondre la pelouse, à moins qu’elle ne soit assise, concentrée, à faire ses comptes devant la télévision allumée à 80 décibels. J’aurais tant aimé pouvoir ouvrir cette porte et refaire de la balançoire jusqu’à toucher le ciel, cueillir une grappe acide de groseilles au fond du jardin, redormir en haut du lit superposé à la lueur de la lampe à huile, sentir encore l’arôme du bon café, des sièges en cuir de la voiture bleue, du parfum Opium d’Yves Saint Laurent, et même réentendre le son épouvantable de l’horloge du salon qui marquait chaque heure et chaque demi-heure, etc., etc.,
mais je suis très loin de ce temps-là, et le vœu que les cinq générations qui sont passées par là se réunissent, ne serait-ce qu’une seule fois encore, toutes autour de la table blanche partageant un bon lagkage, n’est qu’un doux rêve irréalisable.
Ce que j’écris n’est rien d’autre qu’une banale histoire de maison de famille, semblable à tant d’autres.
Un lieu où, tour à tour, chacune et chacun est passé de l’enfance à l’âge adulte, endossant plusieurs costumes, plusieurs casquettes : celles de parents, de grands-parents, petits-enfants, fils/fille, frère/sœur, cousin/cousine, neveu/nièce, oncle/tante, etc., une sorte de jeu des sept familles, où le temps se charge de redistribuer les cartes.
De tout cela, chacun garde en lui ce qu’il y a vécu, et fait le choix d’en conserver le meilleur ou non.
Depuis, au 4A de la rue Kalvehavevej, il y a sans doute d’autres enfants qui s’amusent pendant que leurs parents tentent d’immortaliser ces instants précieux en images. C’est donc un nouveau récit qui s’écrit au moment où je m’épanche sur le mien et les 630 m² de terrain sur lesquels mes ancêtres avaient construit cette maison en 1954.
Puisse cette maison se remplir de joie et d’amour, et que l’écho des rires parvienne par le chemin de briques situé tout proche jusqu’à Birgit, Clara et Charles, à moins qu’ils ne soient déjà trop loin en pleine croisière pour en profiter.
Est arrivée la fin de cette semaine de retrouvailles avec Gilleleje, et la fin du rembobinage du film.
Huit jours de vacances pas comme les autres, où le décor et la légèreté d’autrefois en ont pris un coup, ce p’tit coup de pelle qui te fait regarder les choses un peu autrement, avec une poussière dans l’œil.
"Parfois, vous ne saurez jamais la valeur d'un moment jusqu'à ce qu'il devienne un souvenir" Dr. Seuss
Neuf mois plus tard, je partage ce résumé de vacances, avec bien plus de lignes et de complexité à écrire que je n’en avais à mes neuf ans. 150 photos, 25 révisions du texte à retirer, rallonger, finalement écourter puis remodifier encore, jauger, difficilement, ce qu’il est utile ou superflu d’écrire sur cette semaine au Danemark, 2 515 mots de ce qui se ressent, plus que ça ne s’écrit.

Là, j’arrive à la fin de ma sélection de photos, sans l’ombre d’une conclusion efficace à ajouter.
Zéro punchline divertissante pour finir sur un sourire, aucune liste personnelle de recommandations d’activités ou de restaurants meilleure que celles que vous pourriez trouver par vous-mêmes.

Avec celle qui m’aura portée pendant neuf mois avant de me donner le jour, nous n’étions pas réellement venues ici ensemble pour des vacances. Nous n’avions pas de profond désir d’excursions, de visites de musées, de longues baignades et j’en passe. Non, rien de tout cela. Ce qui nous tenait simplement à cœur, c’était d’aller saluer celle sans qui nous ne serions pas là. Et malgré la longue distance qui nous séparait d’elle, je crois que nous y sommes parvenues.
Merci aux résidents de Gilleleje pour leur bon accueil et faites de votre mieux pour préserver l'authenticité de votre belle ville le plus longtemps possible.

Barbara
© Crédits photo By Barbara

(PS : Je salue M. Lars s'il lit ces dernières lignes, dont je n'ai pas oublié la rencontre ni le bel échange que nous avons eu ensemble au port, sans oublier non plus de remercier et d'embrasser Helle et son mari pour l'agréable après-midi passée en leur compagnie.)

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