Des parents dans la vente, donc vous me voyez venir… Les chiens ne font pas des chats, je suis tombée dans la marmite dès l’enfance, c’est dans mon ADN, etc. La prémonition semblait toute trouvée.
Sans aucun engouement ni de grandes prédispositions aux études, je m’amuse un petit bout de temps sur des tournages de films à faire plein de figurations, des cours de théâtre, je cours les castings, enfin, surtout s’ils sont servis sur un plateau… Puis, hop ! s’en fut fini.
Je me retrouve ensuite à vendre des vêtements premier âge tout en faisant des démonstrations de poussettes et de stérilisateurs, et j’ai raffolé de faire cela quotidiennement.
C’était donc acté, je suis vendeuse, ni plus ni moins que ça, et quel bonheur ! En plus d’avoir, par ce biais-là, trouvé chaussure à mon pied pour une route en tandem, je découvrais le plaisir de me rendre utile et impliquée à la tâche, attentive aux besoins des gens, plus vivante que jamais.
En 2001, après 3 ans de bons et loyaux services à manipuler bavoirs et doudous, je change d’enseigne de mon plein gré, estimant qu’une vilaine m’en fait trop baver.
Je me dirige et postule alors sans hésiter auprès d’une seule autre enseigne, que j’aime et fréquente souvent. En bonne cliente, je possède déjà, avant mon intégration, un service de vaisselle, une lampe, une horloge, des tabourets, de la déco de Noël. Ce que je ne sais pas encore en février 2001, ce que je n’avais pas noté enfant, est que cet endroit sera ma deuxième famille, que j’y resterai la moitié de ma vie et surtout que j’y serai tellement, mais tellement heureuse. Je n’ai jamais aimé les chiffres, ni même fait l’effort de les retenir, mais le 11 décembre 2023, je ne l’oublierai pas. Ce jour où j’ai quitté ma maison secondaire, entourée de tous mes frères et sœurs de cœur en larmes. La rupture était si soudaine, si injuste pour nous tous, devoir accepter que la grille ne se relève plus nulle part et pour personne. Il y aurait beaucoup, pour moi, à dire sur le sujet, mais il serait anodin et ronflant pour certains, une sorte de non-événement.
Toutefois, se représenter 22 années et 10 mois, ça, chacun peut le faire. D’imaginer la bonne moitié de ce temps consacrée au même et unique travail, qui, certes, vous rémunère mal, mais dont votre épanouissement outrepasse cet aspect tant ce qui vous entoure vous procure rires et satisfactions diverses. Un travail que tu ne subis pas, qui n’est pas une « voie de garage » et que tu exerces, dans mon cas, 7 heures par jour, 5 fois par semaine, sans nonchalance ni routine, et pour lequel tu palpites parce que ce métier-là est fait pour toi, mais surtout, j’insiste, surtout, tu le fais à cet endroit-là et pas ailleurs. 22 ans et 10 mois dans le même quartier, tant de rencontres inoubliables, de visages inconnus devenus intimes, de confessions partagées, de confiance gagnée, tant de réussites et de défaites collectives, de serrages de coudes, de collections iconiques, les années de gloire et les heures noires, je pourrais énumérer encore et encore, et mes frères et sœurs de cœur d’attester de la véracité de mon récit. C’était notre chance à tous, la mienne assurément : avoir trouvé un bon métier, comme je l’avais écrit à 9 ans.
Voilà, ce qui nous amène donc à la raison de ce cœur lourd, avec ce nœud à la gorge et au ventre.
Être déglinguée, en manque, en colère et devoir l’accepter. Comme il a fallu accepter qu’il n’y ait plus de maison au Danemark, il n’y aura donc plus cette fois de maison secondaire.
Avoir à la fois assez de lucidité et de recul pour bien évidemment concéder qu’au regard d’autres événements plus tragiques… c’est du pipi de chat et que la vie continue, et qu’il faut relativiser… que ce qui ne tue pas rend plus fort… oui, oui, oui… mais ouch, aïe, ouille un peu quand même.
Du coup, c’est quoi la suite maintenant ? Où trouver ces 7 heures qui jalonnent ta vie ? Influent sur ton humeur, sur ta fatigue, sur ton épanouissement ? Baaah, ça, aucun de mes cahiers d’enfance ne m’en donne la direction.
Est arrivé très vite le début d’année, mais pas le goût de la fête, ni à quoi que ce soit, à vraiment rien.
Sauf ce jour maussade, semblable à tous les autres, où, comme une fulgurance, un seul désir m’est revenu : me rendre à Fuerteventura, mon coup de foudre, mon coup de cœur. Retourner là où je me sens mieux que n’importe où ailleurs, là où la foudre ne me fait pas peur, là où elle fait battre mon cœur.
Et c’est ce que j’ai fait ! Adam, par la main, et des guirlandes festives pour nous accueillir, il était temps de bien commencer cette fichue nouvelle année.