By Barbara

Expo : Vivian Maier au Musée du Luxembourg

"Partir pour mieux revenir" voilà comment devrait s’intituler mon blog, vu à quelle cadence j’y fais des interventions.

7 mois d’absence au compteur cette fois-ci… je ne vais pas vous ressasser qu’est arrivée la fin de mon hibernation ni m’aventurer à faire un bilan comme il pouvait m’arriver de le proposer auparavant en évoquant les news générales qui nous relient tous, telles que le/la Covid (faites votre choix !), les présidentielles en France, cette longue et dramatique guerre en Ukraine… pour ne citer que ça, non, vraiment, très peu pour moi, je passe mon tour.

D’ailleurs, mieux revenir, c’est vite dit ! Car ce n’est ni avec des cadrages audacieux ni avec une créativité des plus démonstratives que je refais surface. Non, j’admets, il n’y a là pas franchement de quoi se démarquer, photographiquement parlant, mais plutôt de mettre un coup de projecteur sur Vivian Maier dont les photographies, restées secrètement dans l’ombre tant d’années de son vivant, se retrouvent exposées à Paris au grand jour, pour le plus doux plaisir des yeux curieux.

Illustre inconnue il y a encore une dizaine d’années, Vivian Maier a bâti sans le savoir une œuvre majeure de la street photography contemporaine et jouit désormais d’une célébrité posthume bien méritée.
C’est dans la nuit noire d’une soirée de septembre que je me suis rendue au musée du Luxembourg pour la dernière heure de cette nocturne qui se présentait à moi. (Oui, vous avez bien lu septembre, alors sachez que depuis mi-janvier 2022, cette exposition n’est plus présente, ce qui explique d’ailleurs en partie mon hésitation à en parler).
Au commencement, il y a ce chapeau et cet appareil pour nous accueillir… Non, je reprends : il y a SON chapeau en feutre et SON Rolleiflex, celle dont l’apparence vestimentaire pourrait presque ne se résumer qu’à ces deux éléments. Mais nous pourrions aussi rajouter là son manteau bien trop grand, sa chemise à fleurs, ses jupes mi-mollet.
Pendant 40 ans, Vivian Maier, qui est née dans le Bronx en 1926, mais qui était d’origine européenne, s’est établie à Chicago pour travailler comme nourrice d’enfants. Elle y a mené une existence, en surface, tranquille avec des escapades à New York, Los Angeles, le Sud-Ouest américain, l’Europe et l’Asie, tout en s’adonnant discrètement à sa passion, celle de la photographie. Profitant des sorties en présence des enfants dont elle avait la garde, elle a pu, ainsi, toute sa vie, avoir comme activité secondaire, comme passe-temps, comme sa propre compétence, la prise d’images.
Photographier tout, oui, vraiment tout. Ses clichés sont un témoignage des rues de New York et de Chicago, de leurs habitants et de la société des années 1960-1970. Elle marchait en balançant les jambes et les bras comme un automate géant, du haut de son mètre soixante-treize, elle aimait capturer la vie quotidienne, les passants, les enfants, les travailleurs, et les inégalités entre les pauvres avec leur misère et les gens élégants de la haute société…
Voilà donc ce que cette exposition nous donne l’opportunité de découvrir en partie, en partie seulement, tellement son œuvre est riche, bien plus riche qu’elle, qui décèdera sans un sou, des suites d’une mauvaise chute sur la glace des rues de Chicago, au printemps 2009, à 83 ans, dans une maison de convalescence.
Vivian Maier abandonne la photographie dans les années 1990 pour des raisons financières.
Elle est contrainte de vendre son matériel pour subvenir à ses besoins. Ses affaires ainsi que toutes ses photos et pellicules encore non développées sont placées dans un garde-meuble à Chicago qu’un agent immobilier découvre en 2007 lors de sa vente aux enchères pour loyer impayé.

Entre donc dans l’histoire John Maloof. Nous sommes deux ans avant la mort de Vivian et ce jeune homme, alors âgé de 27 ans, a besoin de trouver d’anciennes photos pour illustrer un livre sur un quartier de la ville, et fait donc par hasard l’acquisition d’un vieux carton rempli de 100 000 négatifs, 700 rouleaux noir et blanc non développés, 2 000 rouleaux couleur, qui s’offrent à lui dans un style très personnel, non triés. Il y a aussi des films Super 8 et 16 mm et des enregistrements divers.
Tout ce choix d’images ne lui sera pourtant pas utile à son livre, mais John Maloof sait qu’il est en possession d’un trésor qui lui aura coûté 380 dollars, sans toutefois réaliser de suite l’immensité photographique qu’il vient d’acquérir et du travail qui l’attend pour déterminer qui se cache derrière ces clichés anonymes. Les photos qu’il possède ne sont référencées nulle part, mais en suivant la piste de quelques photos signées, il apprend d’une famille pour laquelle Vivian Maier a longtemps travaillé qu’elle est décédée juste quelques mois plus tôt.
John Maloof découvre, en remontant le fil, qu’elle était nourrice. Entre autres, pendant seize ans, elle s’est occupée des trois enfants de la famille Gensburg dans leur maison de la banlieue de Chicago. Il les contacte donc afin d’en savoir davantage sur cette mystérieuse et secrète Vivian dont la vie semblait double et partagée entre son travail de nounou et sa passion dévorante pour la photographie.

John Maloof apprend d’eux qu’en 1967 Vivian a dû les quitter, car ils étaient devenus assez grands pour se passer de sa présence. Au fil des années avec eux, Vivian a longtemps vécu dans un grenier soigneusement cadenassé, atteinte d’une accumulation compulsive, elle y entassait des tonnes de journaux et d’affaires personnelles, à tel point qu’au moment de son départ, sa chambre était quasiment devenue inaccessible.
Bien des années après, les trois frères Gensburg lui trouvèrent un petit appartement face au lac Michigan, ce sont eux également qui dispersèrent, après l’incinération, les cendres de Vivian dans la nature où elle les emmenait jouer lorsqu’ils étaient enfants.
Revenons à 2009. De Vivian Maier, les trois frères ont encore quelques affaires et correspondances, qu’ils confient à John. Grâce à un travail méthodique, il retracera sa vie, s’attachera à la reconstituer, la documenter et enfin la diffuser.
Malgré le refus du Museum of Modern Art de New York et de la Tate Modern de Londres, qui ne veulent pas de ses clichés, arguant « qu’un tirage qui n’a pas été validé du vivant d’un artiste n’a pas de valeur », John Maloof parvient dès 2010 à faire consacrer des dizaines d’expositions de par le monde.

Il devient promoteur de son œuvre, exécuteur testamentaire et dépositaire des photographies de Vivian Maier.
Puis, il réalise un reportage pour faire connaître plus largement le destin et le travail de celle qui n’avait aucune prétention à l’immortalité et qui ne voulait pas laisser de trace.
Son documentaire « À la recherche de Vivian Maier » se retrouve nommé aux Oscars en 2015.

La légende de Vivian Maier est en route.

Poursuivons justement celle de la visite de cette exposition qui nous propose de découvrir toute une sélection de photos (278 exactement) répartie à travers neuf thématiques : l’autoportrait, la rue, théâtre de l’ordinaire, les portraits, les gestes interstitiels, les jeux cinétiques et faux-semblants, le cinéma, la photographie en couleur, enfance et indices.
Vivian Maier photographiait surtout des gens dans la rue. Elle posait son regard sur des promeneurs, travailleurs, femmes au foyer et commerçants, des personnes de toutes tailles, âges, nationalités et couleurs de peau. Elle entretenait une passion particulière pour les enfants et leurs jeux. Parfois curieux, parfois assez distant, l’appareil a saisi aussi ses innombrables autoportraits, sortes de selfies prémonitoires, sans oublier les espaces urbains et leur architecture qui la fascinaient. Elle n’était pas seulement attirée par les gens, mais par la matière même de la ville : vitrines, miroirs, fenêtres et passages, affiches, pavés et néons. Ces éléments font également partie intégrante de l’ensemble de ses photos. Elle avait le pressentiment du bon moment, celui où toute l’action devant ses yeux s’accumulerait et s’imprimerait en une seule image parfaite. Malgré leur spontanéité, les portraits de Vivian captent toujours l’essentiel, leur composition étant toujours rigoureuse.
L’œuvre de Vivian Maier met en lumière des détails anodins, trouvés au hasard de ses promenades, décrivant l’étrangeté des gestes, la singularité des corps et des visages. Ces images ont un lyrisme étrange, vous interrogent et vous transfèrent les instants de personnes qui, d’une manière ou d’une autre, ont, elles aussi, leur anonymat brisé en apparaissant sur ses photographies.
Nous sommes plongés dans un monde lumineux, sombre et agité aussi, empreint de liberté, que l’on retrouve sur les centaines de milliers de clichés et de pellicules que Vivian Maier a accumulés tout au long de sa vie. Sa manière de traiter ses sujets laisse transparaître aussi un humanisme profond.
Vivian ne s’est pas cloisonnée à une seule forme d’expression, elle s’est essayée aux différents supports correspondant aux différentes évolutions des techniques photographiques ou cinématographiques. Ainsi, l’exposition nous permet aussi de visionner des films inédits qu’elle a réalisés à l’aide de sa caméra Super 8 et de son Rolleiflex. Les photos en couleur capturées cette fois par son Leica 35 mm marquent également un tournant dans son œuvre photographique.
Ayant depuis quelques années un livre d’elle, j’étais déjà bien renseignée sur son œuvre. De cette exposition, je dois admettre que je connaissais par avance beaucoup des photographies sélectionnées, mais pas celle qui suit.
Elle m’est apparue sans prévenir, presque comme une claque, alors que je balayais du regard de gauche à droite et que les portes du musée allaient bientôt se fermer. J’ai bien failli la louper, pour tout dire, tellement les gardiens nous faisaient savoir qu’il était temps de partir.

Et BAM ! L’émotion que je me suis prise en la découvrant, mais surtout ma stupéfaction de lui trouver un rapprochement avec celle que j’avais réalisée de mon fils en 2007, une de mes préférées de lui. C’était très particulier comme sensation. Certains trouveront sûrement cela un peu tiré par les cheveux, qu’importe, je livre là le plus sincèrement mon ressenti, sans chercher l’approbation de qui que ce soit.
C’était mon deuxième rendez-vous avec Vivian Maier. Des sensations, j’en avais eu bien avant en sortant de cette projection de cinéma en juillet 2014 où je m’étais rendue seule pour mieux m’imprégner de ce documentaire dont la bande-annonce m’avait déjà complètement conquise.
Je me revois être restée jusqu’à la fin du générique, les yeux pleins de larmes comme « E.T. l’Extraterrestre » m’avait procuré en 1982 (ou « Dancer in the Dark », « Sur la route de Madison » ou encore « L’Étrange histoire de Benjamin Button »… bon OK je suis une sensible !).
Mais là, c’était une émotion différente, une sorte de connexion familière à tout ce que je venais de découvrir comme images. Un écho en lien direct à ma propre vision et façon de figer en image ce qui m’entoure.
Je m’étais empressée ensuite d’aller photographier l’affiche alors apparente et située tout près, en zoomant cette photo et y lire au fond « Never hide » sur un panneau publicitaire de la marque Ray-Ban, soit traduit en français par « jamais se cacher », m’avait fait penser combien c’était justement tout l’inverse qu’avait fait Vivian finalement.
J’ai longuement hésité aussi à publier cet article, car je n’ai pas pour habitude de m’en tenir à partager ici les choses de façon trop factuelle ou scolaire, avec détachement. Il m’est toujours indispensable d’y mettre en plus mon petit supplément d’âme, c’est ainsi.
Or là, je sens que je dois jongler habilement pour ne pas paraître présomptueuse, fière ou égocentrique en faisant les parallèles suivants, mais qui se doivent d’être ajoutés pour me permettre d’expliquer pourquoi découvrir Vivian m’aura tant secouée, moi la petite autodidacte sans réponse à ceux qui m’auront souvent demandé « Et pourquoi tu ne t’es jamais lancée dans la photo sérieusement ? »

Estimant que, tout comme elle, nous sommes en définitive assez nombreux à nous amuser de nos reflets
Je peux situer 26 années en arrière mon amour de prendre des photos, avec la constante d’avoir toujours préféré capturer, à leur insu, les autres, de tendre vers des moments de douceur, de facétieuses coïncidences ou des détails qui me sautent aux yeux (comme ici le trou au bermuda de ce monsieur, par exemple, avant que ce ne soit son radieux sourire qui m’interpelle).
Vivian Maier saisissait tout en images : les ivrognes, les accidents et les fauteuils calcinés, les colères et les émotions de toutes sortes. La violence qui percute, même le trash qui fait mal aux yeux.
Si j’en avais la possibilité, si mes photos n’étaient pas en numérique ce soir-là, j’en scannerais les négatifs afin de vous montrer la chronologie de mes photos et ce par quoi ma visite s’est conclue. Croyez-moi ou non, une fois sortie de l’exposition, je n’ai eu que quelques pas sur ma droite à faire pour tomber sur ce plumage d’oiseau mort.

Peut-être est-ce fréquent pour certains, pour moi cela ne l’est pas.

De nouveau, BAM ! Interloquée… avec, pendant une demi-seconde, cette interrogation idiote mais pourtant bien là en tête : « Vivian, à quoi jouez-vous ? Essayez-vous de me faire croire à des choses insensées ? Seriez-vous aussi présente à cet instant que tout au long de cette exposition ? »
Il m’aura fallu quelques jours de vacances pour poursuivre cet article que j’ai souvent mis de côté, que j’ai ce temps de libre pour m’y remettre et de réaliser que je le termine aujourd’hui, tardivement, le 21 avril…
Vivian est partie avec tous ses mystères le 21 avril 2009.

J’ai souvent lu ou entendu cette phrase qu’on attribue à Paul Éluard :
« Dans la vie, il n’y a pas de hasard, mais que des rendez-vous. »

Et parfois j’aime y croire.

Barbara
Musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard 75006 Paris
© crédits photo By Barbara

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