By Barbara

Une île magique et un artiste unique, César Manrique

Je vous ai quittés il y a presque déjà deux mois en vous vantant tous les mérites de l'île de Lanzarote et de ses nombreuses découvertes à faire là-bas.

C'est justement la raison de ce nouvel article qui vient compléter le fait qu'en dehors des volcans, des randonnées, des plages et des villages, il reste encore bien des lieux étonnants à sillonner. Des endroits merveilleux, tout droit sortis de l'imagination d'un artiste qu'on ne peut manquer quand on se rend à Lanzarote, l'incontournable icône nationale M. César Manrique.

Son implication dans la préservation de Lanzarote et son travail artistique visionnaire se ressentent à travers toute l'île, car la particularité de ses constructions est de prendre racine dans la matière volcanique de l’île.
Né le 24 avril 1919 à Arrecife, la capitale de Lanzarote, César Manrique est un enfant du pays.
Il se passionne très tôt pour les peintres modernes comme Picasso, Matisse et Braque, c'est d'eux qu'il tirera son inspiration. Après avoir suivi des cours d’urbanisme à l’université de Tenerife, il décroche en 1945, à l'École des Beaux-Arts de San Fernando, située à Madrid, son diplôme de professeur de dessin et de peinture.

Après Madrid, il prend part à de nombreuses expositions en Europe et en Amérique latine, en 1955 et en 1960 à la Biennale de Venise, en 1964 il expose au Musée Guggenheim, à New York, puis il séjourne aux États-Unis jusqu'en 1966.
Amoureux de son île natale, à 47 ans, il revient s'installer à Lanzarote, qui amorce à cette époque son développement touristique, à la fin des années 1960. César Manrique veut absolument éviter les dérives constatées sur les autres îles des Canaries, déjà largement transformées, soucieux de sauvegarder le patrimoine naturel et culturel de l’île, il se lance dans le projet urbain de n'autoriser que le style et les couleurs traditionnels des constructions de Lanzarote (maisons basses de deux étages maximum, aux murs blancs, aux formes cubiques, aux cheminées coniques, ainsi qu’aux volets et portes peints en vert ou bleu notamment) et même de supprimer tous les panneaux publicitaires situés sur les bords des routes, il oblige aussi à enfouir en partie les câbles électriques et téléphoniques, et enfin, il pousse à créer des ronds-points signalés par des mobiles géants.
Appuyé dans son projet par son ami d'enfance José Ramírez Cerdá, devenu le gouverneur qui détient les rênes politiques de Lanzarote, César Manrique arpente lui-même l'île avec des photographies de constructions touristiques affreuses provenant d'autres îles de l'archipel. S'insurgeant sans relâche contre les promoteurs qui entendent profiter de l'image de l'île pour développer un tourisme de masse et construire à grande échelle sur les plages de sable fin, César Manrique se munit d'un porte-voix et met toute sa détermination à convaincre la population d’adhérer au style architectural de Lanzarote, avec son slogan « Pas chez nous ».
Le peintre-sculpteur se métamorphose en architecte paysagiste. De Lanzarote, il en fait son théâtre, son œuvre.

Aujourd’hui, son impact est visible partout sur l’île de Lanzarote. L'architecture ancestrale est restée intacte en bonne partie, si bien qu'on remarque aisément la moindre exception… comme l’hôtel-spa « Gran Hotel », construit en 1974 à Arrecife. Avec ses 15 étages et ses 54 mètres, il est le plus haut de l'île. Vu du ciel, il se remarque comme le nez au milieu du visage.
En plus de son combat réussi contre l'urbanisme de masse qui aurait, à terme, défiguré l'île, il parsema Lanzarote de plusieurs de ses œuvres. Sur toute l'île, on tombe régulièrement sur des carillons, des mobiles de vent impressionnants, des statues gigantesques ou des aménagements architecturaux.

De quoi consacrer mon article à deux lieux qui font le plaisir des visiteurs. En commençant ici par la première intervention de l'artiste sur le paysage de Lanzarote, la grotte de « Jameos del Agua ». À l’origine, il s’agit d’un impressionnant tube de lave transformé en œuvre d’art et aménagé par Manrique en un centre d'art, de culture et de tourisme au cours de l'année 1966.
En arrivant au parking, une grande sculpture en forme de crabe nous accueille, il s'agit d'un « jameito ». Son nom scientifique est Munidopsis polymorpha, minuscule crabe albinos, aveugle et luminescent, d’un centimètre de long, lequel se trouve un peu plus loin, et, pour de vrai cette fois, dans les eaux du lac naturel que nous franchissons juste après un restaurant protégé du soleil par une voile rouge suspendue aux parois de roche.
Ensuite, nous arrivons dans un très bel espace piscine à ciel ouvert, le sol est d’un blanc immaculé, le tout est entouré de rochers naturels et de plantes locales : cactus, figuiers, bougainvilliers, lauriers-roses et palmiers. Cette sublime piscine au bleu intense est purement décorative, aucune baignade n'y est autorisée.
Chaque espace est plus impressionnant que le précédent ! À l'arrière du bassin artificiel se trouve une grande salle souterraine de théâtre taillée dans le roc, inaugurée en 1977, elle contient 600 places. Ici ont lieu des concerts, des présentations de films et des fêtes folkloriques. L'acoustique y est fabuleuse paraît-il.
Puis le circuit se termine par la visite d’un centre scientifique international destiné à l’étude de la volcanologie.
Maintenant, nous visitons cette fois la fondation César Manrique. Elle est installée à l’ouest de l’île, à Tahiche, dans l’ancienne demeure de l’artiste, habitée pendant 20 ans. Elle constitue la maison dans laquelle il vécut le plus longtemps.

Elle fut créée en 1982, mais inaugurée officiellement en mars 1992. La fondation s’est donné la mission de faire connaître l’enfant du pays, de réunir des fonds pour accroître la sensibilisation du public à l’art et de promouvoir les activités culturelles sur l’île. Elle cultive ainsi la mémoire, l’étude et la propagation de l’œuvre de Manrique.
C’est en 1970 qu’une famille lui lègue un terrain sur lequel il décide de construire sa maison. Il crée une incroyable piscine en sous-sol à l’intérieur d’un boyau volcanique, en grande partie souterraine. Manrique construit son habitation de façon totalement insolite. En effet, sa maison a été faite au milieu de cinq bulles de lave qui deviennent des pièces de vie à part entière. Ces bulles volcaniques sont reliées entre elles par de petits couloirs percés dans le basalte de la coulée de lave.
On se croirait vraiment dans un décor de cinéma façon James Bond ! César affirmait que la nature ne devait pas s’adapter à l’architecture, mais que c’était le contraire. Nous en avons en ce lieu une preuve bien formelle.
On y découvre aussi bien sa manière de travailler, ses notes, ses croquis, son engagement et ses œuvres, puis aussi sa collection personnelle d'art contemporain qui compte des dessins, des peintures, des céramiques et des sculptures de grands maîtres tels que Picasso, Miró, Klee, Chillida, Lam ou Tàpies.
Le musée s'étend sur un terrain de 30 000 m² construit sur l’un des plus longs écoulements de lave provoqués par les éruptions volcaniques qui affectèrent Lanzarote entre 1730 et 1736. De larges baies vitrées nous permettent d'admirer l'impressionnant paysage volcanique des alentours. L’ingéniosité ainsi que la singularité des réalisations de l'artiste réside dans la possibilité pour celles-ci de s’intégrer de manière respectueuse dans leur environnement naturel, au point même de se fondre totalement dans le décor.
Avant de regagner la sortie, on passe par un joli jardin avec un étang. S'y trouve une fresque murale réalisée à l'aide de roche volcanique et de carreaux de céramique par Manrique entre l'hiver 1991 et le printemps 1992.
Le 25 septembre 1992, vers midi, César Manrique perd la vie dans un accident de voiture à seulement 45 m de sa fondation, au rond-point à propos duquel il disait depuis des années que c'était dangereux. Les autorités décrètent trois jours de deuil national. Quelques mois plus tard, l’UNESCO lui rend hommage en qualifiant Lanzarote de « réserve de la biosphère ».

J'ai lu qu'il y a des théories du complot selon lesquelles ce n'était pas un accident. En raison de son activisme pour empêcher le tourisme incontrôlé de l'île, il s'était fait quelques ennemis…
Le but de Manrique était de montrer la beauté de la nature à peine transformée par l’homme par une création artistique. Grâce à son amour pour Lanzarote, sa nature passionnée et sa détermination, il a réussi à préserver les paysages de l’île et son architecture, qui lui a valu les honneurs posthumes du gouvernement de l'île, qui s'est engagé à poursuivre le chemin que Manrique avait tracé.

En parlant de chemin, il en reste un dernier vers lequel je me rends et qui me donnera de nouveau l'occasion de vous montrer un bien bel endroit très très vert, mais surtout piquant ! Indice facile sur le panneau d'affichage.
Voilà, à bientôt donc ! Lanzarote n'aura plus de secret pour vous, je crois, enfin, presque.

Merci pour votre intérêt et la fidélité de certains d'entre vous, que j'embrasse chaleureusement.

Barbara
© crédits photo By Barbara

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