By Barbara

Expo : Barbara à la Philharmonie de Paris

Première publication de cette nouvelle année, merci d’être au rendez-vous.

2018 marque la cinquième année de création de mon blog, que le temps file vite ! Cinq ans de balades, d’annotations et de réflexions, mais surtout d’images, des photos où s’entremêlent des étés ensoleillés et des hivers aux sujets variés. Je viens ici exposer mon angle de vue sur des lieux, des paysages, des œuvres artistiques. La photographie occupe une grande place dans ma vie, et la musique tout autant. J’ai ainsi le plaisir de revenir cette fois pour vous parler d’une longue dame brune, l’auteure-compositrice-interprète Barbara.

Le temps file si vite qu’il y a déjà vingt ans qu’elle est partie.

En hommage, la Philharmonie de Paris lui a consacré une fabuleuse exposition dont la scénographie était de toute beauté, conçue par deux grands talents du cinéma et de l’opéra, Christian Marti et Antoine Fontaine. Jamais une aussi grande exposition n’avait été jusqu’alors dédiée à la vie et à l’œuvre de Barbara. Nous pouvions y découvrir plus de 400 documents, dont beaucoup d’inédits prêtés par des admirateurs, et plus particulièrement par Bernard Serf, le neveu de Barbara, qui veille à son œuvre.

Je vous retrace ma visite avec beaucoup d’exaltation et d’émotion.
Émue, comme en novembre 1997 ou dès l’annonce de son décès, je pensais également à mon père, qui m’avait familiarisée à sa musique, sensibilisée à ses textes et qui l’aimait suffisamment fort pour décider, avec ma mère, de me prénommer comme elle. Un héritage assez agréable à porter, je dois l’admettre, car, en plus d’être facile à orthographier et peu répandu (une pensée à toutes les Julie, Sophie et Emilie croisées pendant ma scolarité… minimum deux par classe !), j’avais aussi l’occasion d’entendre : « Quel joli prénom ! » suivi très régulièrement de « Oh Barbara ! Comme la chanteuse, c’était vraiment une artiste, une vraie artiste ».

Et ce n’est pas tout ! J’étais loin d’imaginer qu’un jour mon prénom me permettrait d’en tirer un avantage : bénéficier d’un tarif ultra-privilégié, car la Philharmonie de Paris a eu la riche idée d’offrir à toutes les Barbara le droit d’entrer gratuitement. Autant vous dire que ça commençait déjà très bien !
Nous y sommes : elle est face à nous et nous accueille en nous tendant les mains pour franchir le rideau. Nous nous engageons alors dans les coulisses de sa vie. Le parcours chronologique, conçu par la commissaire Clémentine Deroudille, s’articule autour des temps forts de la vie et de la carrière de Barbara.
Tout commence avec sa voix en fond sonore, chantant Mon enfance. Ma mère et moi nous regardons, les yeux déjà humides, tant la force du texte nous saisit… et ce n’est que le début.
Au début, elle s’appelait Monique Serf, née le 9 juin 1930 dans le quartier des Batignolles à Paris. Petite fille juive, son enfance sera marquée par la pauvreté, les séparations et les déplacements de ville en ville pour fuir les huissiers, mais aussi, pendant l’Occupation, pour échapper à la traque des Juifs par les nazis, ainsi que par l’inceste paternel qu’elle évoquera tardivement.

Quand la guerre éclate, elle a neuf ans. La famille est divisée et, avec son frère, elle est confiée à sa tante. Face à l’avancée des Allemands en juin 1944, ils fuient en train pour Châteauroux. La locomotive est réquisitionnée et les wagons bombardés : le train reste immobilisé 17 jours en rase campagne. L’école communale de Préaux accueille alors les réfugiés du train. Chef de troupe, la jeune Monique monte des scénettes de théâtre avec ses camarades de classe.
De 1941 à 1945, Monique est ballottée sur les routes de France, de Marseille à Poitiers, de Tarbes à Saint-Marcellin. Puis la famille retourne dans la capitale. C’est là que Monique trouve sa voie en rencontrant une professeure de chant, Mme Thomas-Dusséqué, qui la conforte dans son ambition de devenir chanteuse. En parallèle, elle joue d’instinct, sans prendre de leçons, sur le piano que son père a loué. En 1949, son père quitte soudainement et pour toujours le foyer ; la même année, la location du piano ne peut plus être honorée, une séparation vécue comme un déchirement.

L’enfance était un sujet sensible, sur lequel elle aura presque toujours laissé la porte fermée lors d’entretiens avec des journalistes. Catégoriquement, elle coupait court aux questions en répondant "je ne me souviens de rien, je n'ai pas eu de passé. Tout ce qui m'intéresse, c'est mon présent. Mon enfance ne m'intéresse pas, et de toute façon, je ne vous dirai rien. Tout ce que j'ai à dire est dans mes chansons et je vous prie de ne pas me poser ce genre de question".
En 1950, Monique a 20 ans. Elle fugue pour la Belgique, où elle commence sa carrière dans des cabarets de Bruxelles. Son tour de chant est composé de reprises de chansons d’Édith Piaf, de Juliette Gréco, de Léo Ferré et de Jacques Brel, mais l’accueil du public n’est pas des plus chaleureux. C’est à ce moment-là qu’elle décide de se faire appeler Barbara, en hommage à sa grand-mère russe, Varvara Brodsky
Barbara est de retour à Paris. Elle s’accroche, fait la plonge pendant un an dans un cabaret, observe et apprend des autres artistes tout en poursuivant les auditions. De rencontres en relations, elle parvient à se produire dans différents cabarets parisiens, puis réussit l’audition de l’Écluse. Ce cabaret de la rive gauche lui permet de s’installer avec son piano et de s’imposer chaque soir devant soixante-dix personnes. La scène y est petite, mais sa notoriété grandit, avec un public de plus en plus fidèle à celle qui adopte désormais les cheveux courts et que l’on surnomme « la chanteuse de minuit », tant il se fait tard quand vient son tour de passer sur scène. Barbara y restera pendant six ans.
De ce cabaret, Barbara dira : « L’Écluse est la première maison que j’ai trouvée. Là, il y avait vraiment un cœur qui battait. Une famille qui m’a accueillie. C’est là que j’ai commencé à respirer, que tout s’est déclenché. »
En juillet 1956, Barbara fait sa première apparition à la télévision dans l’émission Cabaret du soir. À cette époque, elle commence à écrire ses propres textes de chansons, ses « petits zinzins », comme elle disait, et se fait engager par Pathé Marconi, avec qui elle réalise ses premiers disques.
En décembre 1959, Barbara apprend que son père, alors âgé de 55 ans, est mourant et qu’il la réclame. Cela fait dix ans qu’elle ne l’a pas vu. Elle accourt à Nantes pour se rendre auprès de lui, mais à son arrivée, il est déjà trop tard. Au lendemain de l’enterrement, submergée par des sentiments mêlés de haine et de désespoir, elle se met à écrire la chanson Nantes, qu’elle terminera quatre ans plus tard, juste quelques heures avant de l’interpréter pour la première fois sur la scène du Théâtre des Capucines en décembre 1963.

Ce soir-là, son nouveau répertoire, comprenant deux chansons inédites, Dis quand reviendras-tu ? (sa première chanson d’amour, inspirée par sa rupture avec le diplomate Hubert Ballay) et Nantes, rencontre un véritable succès. Cela lui permet de quitter les cabarets, de changer de maison de disque et de recevoir l’invitation de Georges Brassens pour assurer la première partie de son spectacle à Bobino.
Comme convenu, Barbara se produit à Bobino. Le public est conquis et la presse unanime, allant jusqu’à écrire qu’elle avait presque fait oublier Brassens ! À partir de là, celle qui jusqu’alors était un peu maladroite et timide cesse d’interpréter les chansons des autres et se met à composer sans relâche. Elle écrit des textes profondément personnels, parvenant à sublimer les épisodes sordides de sa vie, enregistre beaucoup et travaille son piano ainsi que sa diction, car on lui suggère de cesser de rouler les « r ».

En mars 1965, son nouvel album signé chez Philips, Barbara chante Barbara, rencontre un succès commercial et lui vaut de remporter le Grand Prix du disque de l’Académie Charles Cros. Lors de la cérémonie, Barbara déchire son prix en quatre pour le distribuer aux techniciens et musiciens de son équipe, en témoignage de sa gratitude.
En septembre 1965, Barbara retourne à Bobino en tant que vedette principale. Pour fêter cette occasion, le jour de la première, Radio France marque l’événement en organisant sur ses ondes une journée spécialement consacrée à Barbara. La chanteuse est si profondément touchée par cette première qu’elle l’immortalise peu après dans l’une de ses plus grandes chansons, Ma plus belle histoire d’amour.
Nous poursuivons le parcours et découvrons d’autres textes, comme celui de la chanson Je ne sais pas dire, écrite en 1964. Grâce à sa volonté, son travail et son talent, Barbara parvient à s’imposer comme l’une des premières femmes auteures-compositrices-interprètes à oser aborder la sensualité, l’amour et les relations avec les hommes de cette manière.
Ensuite, un mur est dédié à certaines coupures de presse. Barbara avait parfois du mal avec l’exercice questions-réponses des journalistes, mais elle se lia d’amitié avec l’une d’entre elles, Denise Glaser, qui contribua à mieux faire connaître Barbara en l’invitant à treize reprises. Sur un écran est projetée une interview : l’émission présentée par Denise Glaser s’appelait Discorama. Plus qu’une animatrice, elle fut celle qui, pendant une dizaine d’années, dénichait les talents et les sortait de l’ombre.

Dans cette émission musicale diffusée le dimanche soir après la messe, elle écoutait les artistes et leur donnait la parole comme personne ne l’avait encore fait. Les chanteurs n’étaient plus seulement des voix capables de chanter, mais aussi des voix capables de parler, d’avoir un avis et d’exprimer des sentiments. Denise intimidait ses invités avec ses questions singulières et savait également laisser place, pour la première fois à la télévision, à de vrais silences.

En juin 1983, Barbara et Catherine Lara furent les seules artistes à se déplacer pour l’enterrement de Denise Glaser, qui, malade, endettée et abandonnée par la profession, s’éteignit à 62 ans sur la pointe des pieds, malgré plus de 350 heures d’enregistrements.
Puis, nous découvrons les costumes de scène de Barbara, qui, avant chaque représentation, ne devaient jamais voir la lumière ni être touchés par quiconque. Une garde-robe composée de noir, puis de noir et encore du noir ! Comme elle le disait : « le noir est une couleur de fête, de soir, de nuit, de flamboyance, de dignité, de danger, de séduction et de chagrin aussi ».

Avec sa longue silhouette fine et élancée, ses cheveux courts et ses paupières soulignées au crayon noir, Barbara, qui n’aimait pas son physique, sut inventer son propre style, qui devint sa signature pour toujours.
Présenté pour la première fois dans son intégralité au public, on découvre le très joli carnet de bord intitulé Le voyage de Barbara, un trésor d’intimité et de sensibilité. Il regroupe tous les croquis réalisés par le peintre Luc Simon lors de la tournée de concerts de 1969.
Olympia 1969 — du 4 au 17 février, Barbara se produit chaque soir pendant deux heures sur la scène parisienne, interprétant une trentaine de chansons. À l’issue de la dernière représentation, elle annonce, à la surprise générale, son intention d’arrêter la scène : « Cet Olympia était un pari, ce métier une aventure, pas du fonctionnariat. Je reprends la route, car je ne veux pas revenir chaque fois comme une cousine de famille. »
Tout comme Jacques Brel l’avait fait trois ans plus tôt dans cette même salle, Barbara déclare vouloir arrêter pour fuir le radotage. Néanmoins, elle honorera les contrats signés avant cette décision, en effectuant une tournée au Canada, aux Pays-Bas, en URSS, en Roumanie, en Israël et au Japon.
À cette époque, Barbara nourrit d’autres ambitions et s’engage dans une période d’aventures et d’expérimentations où elle s’essaie au théâtre et au cinéma. Début 1970, elle joue à Paris, au Théâtre de la Renaissance, dans Madame, une pièce que Rémo Forlani a écrite spécialement pour elle. Parallèlement, elle enregistre le disque reprenant les chansons du spectacle, dont elle signe elle-même les musiques. Cependant, la critique se montre sévère envers la pièce, et le public boude cette histoire d’une ancienne tenancière de maison close dans une Afrique imaginaire.

Barbara participe également à plusieurs films, notamment en 1971 aux côtés de Jacques Brel dans Franz, puis en 1973 dans le film à sketches L’Oiseau rare de Jean-Claude Brialy, et enfin en 1976 dans Je suis née à Venise, un film réalisé pour la télévision par Maurice Béjart.
Retour sur l'année 1971, c'est à ce moment que Barbara touche un nouveau public avec la chanson L’Aigle noir, qui sera le plus grand succès populaire de sa carrière. À cette époque, les paroles de la chanson ont suscité des discussions passionnées : certains y voyaient le message d’une crainte du retour du nazisme ou, plus généralement, le délirant récit d’un rêve érotique. Dans ces années 70, sous l’influence du LSD, certaines chansons étaient souvent incompréhensibles… Mais Barbara se dérobait toujours quant au sens réel des paroles, prétextant que cela ne concernait qu’elle.

C’est en 1997, dans ses mémoires Il était un piano noir…, parues un an après sa disparition, qu’elle abordera pour la première fois son enfance dramatique auprès de ce père qui avait abusé d’elle durant des années, sans même que les gendarmes, qu’elle était allée alerter, ne prennent la jeune fille au sérieux. Elle écrivait ceci :
« Un soir, à Tarbes, mon univers bascule dans l’horreur. J’ai dix ans et demi. Les enfants se taisent parce qu’on refuse de les croire. Parce qu’on les soupçonne d’affabuler. Parce qu’ils ont honte et qu’ils se sentent coupables. Parce qu’ils ont peur. Parce qu’ils croient qu’ils sont les seuls au monde avec leur terrible secret. »

L’évidente symbolique de l’inceste dans L’Aigle noir devient alors glaçante :
« De son bec, il a touché ma joue / Dans ma main, il a glissé son cou / C’est alors que je l’ai reconnu. »

Jacques Serf hantera longtemps le répertoire de Barbara, cet aigle noir tournoyant autour de ses nuits, à qui elle demandait de la ramener au pays de son enfance. Elle l’évoquera dans plusieurs chansons, mais chaque fois dans un langage imagé et codé.
Les années passent, avec d’autres disques et de nombreux spectacles donnés en France et ailleurs (au Japon ou à New York, par exemple). Barbara compose encore et écrit, d’année en année, des chansons qui trouvent un écho auprès d’un public toujours fidèle et privilégié, comme cet admirateur à qui Barbara confiait ses projets artistiques.
Nous sommes au début des années 80, et Barbara décide de se lancer le défi de chanter hors des salles de théâtre habituelles. Son choix se porte alors sur le chapiteau d’un cirque installé sur un terrain vague de la porte de Pantin (à l’emplacement même où se dresse désormais la Philharmonie de Paris), où elle rassemblera 60 000 spectateurs durant 25 représentations.

À 51 ans, Barbara ne se ménage pas et donne tout à son public, toujours aussi nombreux, mais aussi de plus en plus jeune, la plupart des spectateurs ont entre 16 et 25 ans. Pour la première fois de sa carrière, elle accepte que son spectacle soit filmé, mais à condition que les caméras soient dissimulées sous des draps noirs.

Durant trois jours, Barbara est filmée par Guy Job. Il accumulera au total 290 heures de vidéo, mobilisant huit cameramen et six mois de montage, auxquels Barbara participera sans relâche.
Le 29 octobre 1982, Barbara est l'invitée du Journal de 20h de TF1 pour promouvoir la diffusion de son spectacle qui sera diffusé sur la même chaîne quelques jours plus tard, elle parle avec passion de son pantin, "sa chair". De ce triomphal concert, vu comme un véritable show à l’américaine, le soir de la dernière représentation, pour remercier le public d’être venu aussi nombreux, elle composa une chanson spéciale "Pantin" : ♪♪♫ "Pantin espoir, Pantin bonheur, Oh, qu'est-ce que vous m'avez fait là ? Pantin qui rit, Pantin j'en pleure, Pantin, on recommencera..." ♪♪.

Si Barbara a toujours su tisser un lien particulier avec son public, c'est bien à Pantin que son tour de chant prend des allures de messe et de communion totale.
Les années qui suivront Pantin seront marquées par des problèmes au niveau de ses cordes vocales, sa voix donne des signes de faiblesse. Barbara consulte alors un phoniatre et suivra pendant trois ans une rééducation vocale, qui aboutira à une récupération quasi complète de sa voix.

Nous sommes en 1986. À deux pas de Pantin, une nouvelle salle vient d'être construite : le Zénith. C'est là qu'elle se produit aux côtés de son ami Gérard Depardieu pour donner vie à Lily Passion. Ce conte musical, pensé, écrit et conçu par Barbara, est très largement autobiographique (l'histoire d'une chanteuse qui perd sa voix et d'un assassin) et représente pour elle plus de six ans d'écriture, dont 42 versions différentes ! De ce long processus de maturation, seules 12 chansons furent utilisées sur 22 initialement. Lors de l'exposition, dans la salle consacrée à cette tragédie musicale, on y découvre les manuscrits originaux ainsi que des chansons coupées, etc.
Les années passent avec d'autres disques et de nombreux spectacles. Barbara chantera même à New York et débute, en septembre 1987, une série de concerts au théâtre du Châtelet à Paris. C'est à ce moment qu'elle crée la chanson Sid'amour à mort, dont elle offrit les droits d'auteur à l'association Sol en Si. Très impliquée dans la collecte de fonds pour la recherche d'un traitement contre le VIH, Barbara fut l'une des premières personnalités à mettre son nom et son talent au service de la lutte contre le sida. D'une grande sincérité, elle ne se rétracta jamais, contrairement à d'autres, par la suite.
À cet endroit de l'exposition, on découvre les nombreux engagements de Barbara. En 1989, tout au long de l'année, loin des projecteurs et en toute discrétion, elle soutient le combat d’Act Up et se rend dans les hôpitaux pour visiter des malades. Bénévolement, elle ira chanter et parler du sida dans les prisons (à la Maison d’arrêt d’Amiens, au centre pénitentiaire de Marseille, et chez les femmes à Fresnes…), accompagnée d’un médecin de l’Institut Pasteur. Chez elle, Barbara fera même installer une ligne téléphonique pour communiquer directement avec les malades et les prisonniers. Lors de tous ses concerts suivants, des corbeilles remplies de préservatifs seront mises gratuitement à disposition du public.

Elle s’engagera également auprès des jeunes autistes, des sans-papiers et des sans-abris, et militera contre la peine de mort. À propos de sa bataille contre le sida, elle déclarera : « Un abruti m'a dit un jour que je menais cette action parce que j'étais morbide. Mais moi, je hais la mort ! Justement, c'est pour ça ! C'est le goût de la vie qui me fait agir. » Et encore : « Je n'ai pas d'enfant. J'ai des centaines d'enfants à qui je dis maintenant : au nom de l'amour que je vous porte, enfants qui auriez pu être les miens, ces préservatifs, mettez-les. »

Ci-dessous, on peut lire un courrier de Barbara adressé à Line Renaud.
Je continue de déambuler ici et là, entre les portraits accrochés et les petits rassemblements. Barbara est partout, à tel point que j’en viens à l’imaginer devant moi, par l’effet de la troublante ressemblance entre une visiteuse et elle…

Barbara se serait-elle jointe à nous ?
C'est en tout cas bien le sentiment que nous avons en arrivant dans la dernière salle. Dans un coin de campagne recomposé, à travers les feuilles, Barbara nous observe depuis la fenêtre de sa chère maison du 2, rue de Verdun. Depuis la fin de l'année 1972, Barbara vivait à 37 km à l'est de Paris, dans son havre de paix, son calme refuge de Précy-sur-Marne. Dans cette ancienne ferme, entourée de ses chats et de ses chiens, elle découvre les plaisirs du jardinage et du tricot. Elle y installera pour toujours son piano et son rocking-chair. Précy sera son espace de liberté et de création, un réduit est transformé en petit théâtre qu’elle appelle "la grange aux loups". Elle y place deux pianos et un clavier électrique, ainsi qu’une sono et des micros. C'est entre les murs de ce bâtiment couvert de glycines qu'elle imagine ses futurs spectacles et compose ses chansons jusqu’à la fin de sa vie.
Suivront, en 1990, une nouvelle série de concerts parisiens à Mogador, puis une tournée au Japon. En 1993, elle retrouve encore le théâtre du Châtelet, mais se voit contrainte d'annuler six représentations en raison d'une pneumonie.
À la fin du mois de janvier 1994, en dépit de l'avis des médecins, Barbara repart en tournée. Malgré la fatigue, elle se donne encore toute entière à son public. Elle ne se contente plus d'interpréter ses chansons : elle les joue, les met en scène. Elle devient prêtresse, chamane, déesse, jusqu'à l'épuisement, et accorde ensuite des séances de dédicaces interminables à son public, qui l'aime avec constance, ferveur et gratitude, comme peu d'artistes peuvent prétendre avoir été aimés. À Tours, elle descend pour la première fois de scène pour se rapprocher d'eux, les toucher, les saluer… Ce 26 mars 1994 sera son dernier concert.
Les médecins et les assurances lui interdisent de se produire sur scène, mais pas de chanter. Un an et demi après son dernier concert, Barbara décide d’enregistrer son 16ᵉ et ultime disque, composé de 12 titres. Le 10 février 1997, les Victoires de la Musique décernent à Barbara le prix de la meilleure interprète féminine de l'année. À cette occasion, elle intervient en direct par téléphone et déclare : « Oh, c'est gentil, c'est vraiment gentil, mais je ne sais pas qui remercier. Je voudrais aussi m'adresser à Zazie et Ophélie Winter, leur dire… bon, ce n'est pas que je sois la meilleure, c'est que je suis la plus vieille et que le plus beau de la route est devant elles, et que voilà, je ne suis pas la meilleure interprète. Voilà, c'est comme ça ! Je vous aime et tout va bien. »

Barbara, alors en pleine écriture de ses mémoires, vient de faire, sans le savoir, sa toute dernière intervention publique.

Ci-dessous, quelques lignes écrites, et souvent raturées, par Barbara en vue de l’élaboration du livre de ses mémoires.

Neuf mois plus tard, terrassée par la maladie, Barbara s’éteint le 24 novembre 1997, à l’âge de 67 ans. Et pourtant, elle ne disparaît pas totalement. Vingt ans plus tard, à la Philharmonie, elle revient nous offrir sa lumière en apparaissant sur le grand écran, comme si son sourire et sa voix continuaient de réchauffer la salle, de rappeler que son art et sa présence demeurent intacts dans le cœur de ceux qui l’aiment.
Moment suspendu et bouleversant lorsque, soudain, nous entendons Barbara chanter, avec son phrasé unique mêlant force et fragilité, toujours à la limite de la rupture, à fleur de souffle. Elle semble tellement être là, près de son piano et de son fauteuil à bascule, avec même les lampions colorés presque identiques à ceux des concerts de Pantin. Des frissons parcourent tout mon corps, l'émotion atteint son comble et l'illusion est parfaite. Tout le monde écoute alors religieusement celle dont la vie entière fut guidée par l'obsession de chanter.
Exigeante sur les moindres détails, température des coulisses, couleur des éclairages, hauteur millimétrée de son tabouret, rien n'était laissé au hasard, et la moindre négligence pouvait provoquer une grande colère chez celle qui nous laisse en héritage des concerts devenus mythiques.

À la question d'un journaliste qui lui demandait : « À quel moment de la journée investirez-vous votre loge du Châtelet ? », elle répondait : « J'y serai dès le matin et j'attendrai le lever du rideau. Le soir, j'entendrai les spectateurs arriver comme s'ils descendaient des collines, je capterai leurs discussions, leurs chuchotements, leurs éclats de rire. J'avancerai alors vers la scène avec ma peur. Le théâtre protège de tout. Entre ses murs, on a l'impression d'être à l'abri, d'être dans un monde où ne pénètrent ni violence ni guerre. »
L'exposition est terminée, nous sommes restés plus longtemps que je ne l'aurais imaginé. Du reste, quand on évoque Barbara, l'imaginaire collectif ne la cantonne-t-il pas généralement et uniquement à un personnage sombre et mystérieux, en costume de corbeau, chantant des textes tristes et noirs comme ses grands yeux ? Eh bien justement, c'est là toute la réussite de cette exposition, qui nous a permis de découvrir une Barbara attachante, généreuse, sensible et surtout si drôle ! Une femme fascinante, devenue depuis un patrimoine de la chanson française, et dont les textes, aussi personnels qu'ils le furent, touchent encore, et pour longtemps, à l'intime de chacun d'entre nous.

Barbara aimait dire : « L'absence a ceci de magnifique qu'elle permet le retour. »

Alors, MERCI à la Philharmonie de Paris d'avoir rendu cela possible, qu'entre le 13 octobre et le 27 janvier derniers nous l'ayons retrouvée ; bien qu'il semblerait que, vingt ans après sa disparition, elle ne se soit jamais tout à fait absentée de nos cœurs, ni des ritournelles qui me viennent en tête quand j'actionne mon appareil en fredonnant ♪♫ « Si la photo est bonne… » ♪♫

À la fois prochaine !

Barbara
© crédits photo By Barbara

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